Toutes vos peurs en musique
voici la recette :
La musique stridente de « Psychose», la tension croissante de « Les Dents de la Mer», le thème implacable de « Halloween » : les films d’horreurs possèdent une identité sonore incontournable. Mais comment créer une musique anxiogène qui nous donne la chair de poule ?
La musique d’horreur exerce un rôle clé au cinéma : manipuler le spectateur pour accentuer son sentiment de mal-être et faire monter la tension selon le dénouement de l’action visuelle. Au-delà d’une écriture musicale savante, le genre de l’horreur fait appel à de nombreuses astuces souvent subtiles, à la fois musicales et auditives, qui peuvent agir également psychologiquement et physiologiquement.
Un genre musical qui autorise la folie
Alors que les premiers films d’horreur, à l’époque du cinéma muet, font appel à des extraits sombres ou menaçants de la musique classique pour leur accompagnement, l’arrivée du son et de la musique mène à un nouveau besoin cinématographique : une musique qui fait peur. Caractérisé par une grande liberté musicale, ce nouveau genre est celui « qui a autorisé d’aller vers les plus grandes folies musicales […]. Quand des compositeurs comme Bernard Herrmann, qui sont quand même des compositeurs classiques, se sont confrontés à l’horreur, ils ont pu expérimenter et sortir de leurs terrains de confort », explique Benoit Basirico, journaliste spécialisé en musique de film et directeur du site cinezik.fr.
Ce nouveau genre musical repose notamment sur un élément clé de la tension : le silence. Un élément non-musical puissant lorsqu'il est savamment mélangé aux codes de la musique d’horreur : « La relation entre la musique et le silence est très importante pour exprimer au spectateur quand il doit avoir peur, et quand il doit être rassuré. Cette relation entre le silence et la musique n'a pu apparaître qu’à partir du cinéma parlant. Quand il s’agit du cinéma muet, le silence n’existe pas », explique le journaliste. Un jeu de tension et de relâche essentiel dans la création d’un sentiment d’angoisse.
Dissonance, répétition, étrange et soudain : les quatre piliers de l’anxiété
Pour soutenir les images horrifiques, quatre ingrédients essentiels constituent la base d’une musique anxiogène. Les tonalités mineures sont évidemment privilégiées, auxquelles s’ajoute l’usage d'une dissonance sans résolution pour concrétiser un sentiment de malaise, créer une instabilité musicale et laisser le spectateur en suspens. La touche finale : la répétition, pour prolonger l’angoisse de manière interminable et instaurer le sentiment d'une voie sans-issue :
Véritable maître de l’horreur, le réalisateur et compositeur John Carpenter révolutionne le genre notamment par son usage du synthétiseur, un instrument inhabituel à l’époque pour la musique de cinéma, utilisé notamment pour de simples raisons budgétaires. Malgré ces contraintes, l’usage de ces nouveaux instruments permet aux compositeurs d’explorer les sons et les textures hors du commun en tant que matières premières. Lors des premiers films d’horreur qui montrent à l’écran des monstres extra-terrestres et êtres paranormaux, les compositeurs font appel eux aussi aux sons étranges et inhabituels, tel le thérémine, dans Le Jour où la Terre s’arrêta (1951) de Robert Wise :
Pour créer un effet soudain d’effroi, rien de plus simple que les sons stridents et grinçants, surtout dans des fréquences sonores aiguës ou graves inhabituellement exploitées dans la musique de cinéma. Épurée de toute percussion et autres effets musicaux, la musique de Bernard Herrmann pour Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock coupe soudainement le silence palpable avec de simples coups incisifs de violons :
Tout est dans la tête !
Semblables à des cris humains, les cris stridents de Bernard Herrmann font également référence à un aspect psychologique intrinsèquement lié à la musique d’horreur : confronté à des sons naturellement angoissants que l’être humain est biologiquement conditionné à craindre, tels que des cris et autres hurlements animalesques, l’état psychique du spectateur est immédiatement mis en état d'alerte par la réaction instinctive du cerveau :
Si les cordes aiguës ou graves servent souvent à transmettre le sentiment d’une menace sous-jacente, celui-ci est amplifié par une accélération du tempo de la musique. Cela mène inconsciemment à une accélération du battement de cœur du spectateur, qui à son tour transmet au cerveau le sentiment de danger et d’une menace qui approche. Une technique largement répandue dans la musique de cinéma, mais nul n’en fait meilleur usage que John Williams dans la musique des Dents de La Mer (1976) de Steven Spielberg :
Dans le sens de l'image ou contredire l'image ?
si une musique dissonante, stridente, soudaine et répétitive peut créer une atmosphère de malaise, l'arrivée inattendue d'une mélodie innocente ou joyeuse peut également transmettre un malaise : l'écart inattendu entre une scène horrifique et une musique optimiste crée à la fois un décalage gênant mais permet également de prendre un certain recul et de supporter une scène particulièrement terrifiante, voire d'en rire jaune. Plus la musique est positive, plus le malaise est prononcé :
« La musique peut soutenir l'angoisse, aller dans l'effroi […] et à l'inverse, la musique peut aller dans le contrepoint, apporter une voix parallèle. Il y a des films gore avec du jazz joyeux en contrepoint ; des scènes de cinéma d'horreur dans lesquelles il y a une petite comptine […]. Le contrepoint est autorisé dans le cinéma d'horreur, parce que ça n'atténue pas l'effroi, mais au contraire ça l'augmente », explique Benoit Basirico.
L'anxiété physiologique
La musique d’horreur est une science exacte. Au delà des astuces auditives et psychologiques, certains compositeurs font appel à des effets physiologiques qui jouent sur notre corps pour créer un certain malaise.
Quoi de mieux pour accompagner l’horreur à l’écran que l’accord le plus redoutable de l’histoire de la musique : le « diabolus in musica ». Un accord qui porte bien son nom, le « diable dans la musique » est une quarte augmentée avec une onde sonore imparfaite qui est généralement considérée depuis le Moyen-Âge comme un son « désagréable » : l’ouverture de la Danse Macabre de Saint-Saëns, par exemple, n’est qu’une suite de quartes augmentées.
Mais il existe également des sons « désagréables » que l’on n’entend pas ; inaudibles par l’oreille humaine mais néanmoins perceptibles physiquement, les infrasons agissent au-delà des capacités auditives humaines et créent des effets physiologiques vertigineux. Les infrabasses puissantes génèrent de similaires sensations de malaise, comme l’explique ROB, compositeur de nombreuses bandes originales dont celles de Maniac (2013) ou Amytiville, the Awakening (2017) de Franck Khalfoun :
« Il y a une relation physique au son qui peut être très angoissante. La salle de cinéma est un espace parfait pour écouter de la musique. On est dans le silence, avec un son très fort. On peut donc exploiter les capacités physiques des enceintes. Typiquement des infrabasses très fortes, c’est angoissant car on a l’impression de devenir sourd, d’être sous l’eau, ou bien cela rappelle peut-être les premiers sons intra-utérins ; tout cela renvoie à des sensations à la fois abstraites et physiques. »
De manière plus scientifique, la musique peut également agir sur l’état psychique du spectateur par l’usage du son binaural, un procédé sonore qui consiste à décaler légèrement les fréquences sonores entre l’oreille gauche et l’oreille droite avec un impact physiologique tout à fait singulier ; une astuce sonore à laquelle font recours Holeg Spies et Patrick Savage dans la bande-son du film The Human Centipede : « L’oreille ne peut pas véritablement percevoir la différence [mais] le cerveau perçoit cette différence, et ça permet de jouer sur l’état psychique de l’auditeur. »